49N
Quand Terre-Neuve-et-Labrador ont choisi le Canada - 75 ans d'union
Cet épisode retrace le moment charnière où Terre-Neuve-et-Labrador est devenue la 10e province canadienne. De l’abandon de son statut de dominion britannique aux avantages mutuels de cette union – nouvelles frontières et ressources pour le Canada, meilleure qualité de vie pour les Terre-Neuviens – découvrez comment cette décision historique a façonné l’avenir de la province et enrichi la mosaïque canadienne.
When Newfoundland and Labrador chose Canada - 75 Years Together
This episode chronicles the pivotal moment when Newfoundland and Labrador became Canada’s 10th province. From relinquishing its status as a British dominion to the mutual benefits of this union – new boundaries and resources for Canada, better quality of life for Newfoundlanders – discover how this historic decision shaped the province’s future and enriched the Canadian mosaic.
Ressources
Agence Parcs Canada, Gouvernement du Canada. ‘Entrée de Terre-Neuve dans la Confédération — Événement historique national – Événement historique national de l’Entrée de Terre-Neuve dans la Confédération’, 25 February 2022. https://parcs.canada.ca/culture/designation/evenement-event/terre-neuve-confederation-newfoundland.
Bannister, Jerry. ‘Making History: Cultural Memory in Twentieth-Century Newfoundland’. Newfoundland Studies 18, no. 2 (2002): 175–94.
Cadigan, Sean Thomas. Newfoundland and Labrador: A History. University of Toronto Press, 2009.
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‘The Portuguese Explorers’. Accessed 3 May 2024. https://www.heritage.nf.ca/articles/exploration/portuguese.php.
Narration : Marcel Simoneau
Écriture et réalisation | Writing and realisation : Hugo Martin
Recherche | Research : Catherine Paulin
Écriture – Montage et son | Writing – Editing and sound: Sophie Houle-Drapeau
Collaborateur | Contributor : Stéphanie Chouinard

Stéphanie Chouinard
Professeure agrégée, Département de science politique, Collège militaire royal et Queen’s University et originaire de Terre-Neuve-et-Labrador
Source photo: UQAM

Transcription
Transcript – 49° N
Episode 2 – Quand Terre-Neuve-et-Labrador ont choisi le Canada – 75 ans d’union
Durée: 31:60 min
Rivercast Media s.a. (00:01.524)
Dans les eaux froides et agitées de l’Atlantique Nord, là où les vagues se brisent avec force sur des côtes escarpées, se trouve une terre mystérieuse et envoûtante. Sa beauté sauvage est façonnée par des vents puissants et des hivers rigoureux. La végétation y est rare, mais la mer y regorge de vie. Les baleines et les phoques y nagent en toute liberté, tandis que les oiseaux marins survolent les falaises majestueuses.
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La neige casse sous ses bottes de cuir et le vent fait danser sa tunique de laine. Leif Erikson marche à travers les maisons de bois et de gazon construites par les hommes qui l’ont accompagné dans son périple. Leif, qui signifie «le chanceux», a découvert une terre riche en vignes et raisins sauvages. Il nomma sa découverte Vinland. Viking de stature imposante, il laissa de côté ses armures en cuir renforcé, ses cottes de mailles et son casque de fer qu’il porte habituellement pour les combats, pour établir une colonie. Sa force physique et robustesse ne sont pas seulement nécessaires pour les combats, mais aussi pour la construction et les travaux agricoles.
Bien que l’hiver y soit relativement plus doux que ceux du Groenland, que son père aura lui-même découvert, le grand gaillard porte tout de même sur ses épaules une cape en fourrure pour se protéger du froid.
Pour se rendre au Vinland, Leif a navigué le long de côtes accidentées et de falaises abruptes plongeant dans l’Atlantique Nord où les vagues se brisent en puissance. Quelques plages de sable fin ont permis à l’équipage de toucher terre. Leif Erikson est le fils du célèbre Erik le Rouge, considéré comme le premier européen à avoir découvert des terres en Amérique du Nord. Les récits traditionnels suggèrent que, comme son père, Leif avait les cheveux roux et les yeux pâles, une couleur relativement courante parmi les Scandinaves de l’époque.
Il n’y a pas de consensus exact sur l’emplacement de Vinland, mais il s’agirait d’une région qui aurait englobé l’extrême nord-est du continent nord-américain. À l’extrémité de la Grande-Péninsule du Nord, on trouve les ruines exhumées d’une colonie viking, la plus ancienne preuve de la présence européenne en Amérique. Depuis 1978, ce lieu historique national, appelé L’Anse aux Meadows, est un site protégé par l’UNESCO. Deux groupes autochtones, les Béothuks et les Micmacs, habitent déjà ces terres à l’arrivée d’Erikson.
Selon certains historiens scandinaves, la colonisation de Vinland finit par échouer en raison de dissensions entre les vikings colonisateurs et de conflits avec les autochtones. Suite à cette escale des Vikings, il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle avant que d’autres explorateurs, colons et surtout pêcheurs européens, attirés par l’abondance de la morue, investissent les lieux. Des pêcheurs basques, portugais, espagnols et français ont commencé à fréquenter ces eaux.
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Les premières tentatives de colonisation permanente par les Anglais datent du début du XVIIe siècle. Cette terre devient une colonie anglaise bien avant l’établissement des colonies dites ‘’canadiennes’’ sur le continent. Cette terre est habitée par un peuple fier et résilient, dont les ancêtres ont bravé les tempêtes et les défis de la nature pour s’y établir il y a des siècles.
Voici l’histoire de Terre-Neuve et Labrador, un parcours unique vers l’avenir.
(Introduction standard)
Le Canada, terre d’envol pour les rêves, terreau fertile pour les idées, nation où les destins se rencontrent. Derrière chaque moment marquant se cachent des visages, des voix, des idées qui ont bâti la nation.
Dans 49 degrés nord, nous vous emmenons au cœur des moments charnières du Canada, à travers les femmes et les hommes qui l’ont bâti, les lieux qui ont été le théâtre de son histoire et les événements qui ont marqué son évolution. Des exploits méconnus aux moments historiques décisifs. Nous découvrons comment ces éléments s’entremêlent pour créer le pays que nous connaissons aujourd’hui. Ce balado est rendu possible grâce au soutien financier du gouvernement du Canada et du programme Commémoration Canada de patrimoine canadien.
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On dit que le roi Henri VII a prononcé les mots « New founde lande » [neh-oo FOON-deh LAHN-deh] en parlant des terres explorées par Giovanni Caboto, mieux connu sous le nom anglais de John Cabot, et son fils Sebastiano Caboto. Il les aurait découvertes en 1497. Cabot l’aurait par ailleurs lui-même baptisé « New Founde Isle », « nouvelle île » en français. En portugais, « terra nova » signifie littéralement « nouvelle terre » traduction mot à mot de ce nom qui désigne cette région insulaire. Le nom Terra Nova est largement utilisé sur l’île, comme en témoigne son célèbre parc national qui porte le nom de Terra Nova National Park. Au fil des ans, le nom évolua, passant de « New Found Launde » [new found LAHN-deh] dans les documents anglais de 1502 à Terre-Neuve en français dès 1510 grâce au cartographe Giovanni da Verrazano. C’est sous le nom de Terre-Neuve ou Newfoundland que cette province s’introduit au Canada.
L’influence des premières explorations portugaises se trouve également dans le nom Labrador, qui dérive du nom de famille du navigateur portugais João Fernandes Lavrador [la-Vra-dor]. Historiquement, on ne parle que de Terre-Neuve, mais le territoire inclut déjà le Labrador. C’est après un partage plutôt ambigu des responsabilités de Québec et Terre-Neuve sur la région, que le Labrador devient une partie intégrante de Terre-Neuve. L’ajout de la mention ‘’Labrador’’ ne s’effectue officiellement qu’à la fin de 2001, alors qu’une modification constitutionnelle adoptée par la Chambre des communes, le Sénat et la législature provinciale change le nom officiel de Terre-Neuve en Terre-Neuve-et-Labrador, en anglais Newfoundland and Labrador.
Les Européens étaient loin d’être les premiers à explorer cette région du nord-est de l’Amérique du Nord. En Inuktitut, langue parlée au Nunatsiavut [Noo-nat-see-a-voot], cette terre est appelée Nunatsuak [noo-nat-soo-ak], c’est-à-dire “la grande terre”, et l’autre partie, Ikkarumikluak [ik-ka-roo-mik-loo-ak], “endroits aux nombreux hauts-fonds”. Le Nunatsiavut est un territoire autonome géré par les Inuits de Terre-Neuve-et-Labrador au Canada. Il comprend une partie du territoire du Labrador à l’est du Québec. Ses langues officielles sont l’anglais et l’inuktitut.
1867, Confédération canadienne. Le Canada, ou plutôt le Dominion du Canada, créé par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, prend forme avec l’Union du Haut-Canada,
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du Bas-Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Terre-Neuve, colonie britannique autonome, choisit de ne pas se joindre au nouveau Dominion et de maintenir ses liens étroits avec la Grande-Bretagne, de conserver son statut de colonie britannique autonome qu’elle détient depuis 1809.
Revenons donc en 1867 et la décision de ne pas signer l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui ne fait pas l’unanimité. Elle mène à des débats politiques internes. La professeure de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s, Stéphanie Chouinard est originaire de Terre-Neuve-et-Labrador.
« Il y avait deux camps qui s’affrontaient, un camp anti-confédération qui était aussi teinté d’une note anti-francophone, anti-française, anti-catholique aussi à cette époque-là et le camp pro-confédération. Donc ces idées-là étaient véhiculées. C’était un débat réel parmi l’élite politique à cette époque-là. Mais au final, c’est la décision de rester en tant que colonie autonome qui a gagné. Il y avait déjà aussi à cette époque-là une identité terre-neuvienne très forte qui était aussi teintée d’un attachement particulier à la couronne britannique.
Et ça, c’est quelque chose qu’on voit encore aujourd’hui. D’ailleurs, quelque chose qui est assez intéressant, c’est que les Terre-Neuviens encore aujourd’hui ont un attachement plus marqué à la couronne britannique, aussi canadienne, que le reste de la population canadienne a plus largement parlé. »
Ainsi, deux ans après la Confédération, la question de rejoindre le Dominion du Canada devient déjà un enjeu à Terre-Neuve. La colonie fait face à plusieurs défis sur le plan financier et économique. En fait, durant la décennie de 1860, Terre-Neuve est touchée par une crise économique due en partie à l’effondrement de l’industrie de la pêche à la morue, principale source de revenu de la colonie. Cette crise entraîne des difficultés financières et de l’instabilité politique.
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Face à ces difficultés, certains politiciens continuent d’explorer des solutions alternatives pour relancer l’économie de la colonie. L’union avec le Canada est l’une des options envisagées. La question de s’unir est ainsi un enjeu électoral important. Les discussions sur l’opportunité de rejoindre le Canada sont largement débattues. Une campagne contre la Confédération s’organise.
Le politicien Charles Fox-Bennett chef, influent du parti opposé à la Confédération, est l’un des grands responsables de la réussite extraordinaire de la campagne faite contre les partisans de la Confédération menée par Sir Frederick Carter. Le contexte économique difficile, les craintes d’une perte d’identité et d’une augmentation des taxes alimentent le soutien au parti de Bennett, qui bat les conservateurs de Carter sur la question de la Confédération lors des élections de 1869. Bennett forme ainsi en 1870 un gouvernement dans la Colonie.
Premier ministre, Bennett ne sera pas en mesure de maintenir l’unité de son parti et démissionne en 1874, permettant ainsi à Carter de reprendre le pouvoir. La question de la Confédération avait alors pris le siège de passager. Bennett, l’un des marchands les plus riches du XIXe siècle à Terre-Neuve, meurt en décembre 1883.
(Chanson Anti-Confédération REF)
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En 1907, Terre-Neuve devient un Dominion. En effet, la colonie britannique obtient une plus grande autonomie politique, gérant elle-même ses affaires intérieures. Toutefois, des contraintes économiques et financières limitent sa souveraineté et la maintiennent dans une relation de dépendance envers la Grande-Bretagne. Bien que tous deux des Dominions, le Canada et Terre-Neuve entretiennent des relations bien différentes avec le Royaume-Uni. Le Canada est plus autonome pour gérer ses affaires intérieures, telles que l’économie, l’éducation, la santé et d’autres domaines dits locaux. L’autonomie de Terre-Neuve est limitée par sa dépendance financière vis-à-vis la Grande-Bretagne qui conserve des pouvoirs de contrôle et d’intervention.
La structure politique diffère aussi. Le Canada est organisé en tant que fédération avec des gouvernements provinciaux et un gouvernement fédéral, chacun ayant des compétences législatives distinctes. Terre-Neuve, un gouvernement central sans structure fédérale.
1930, la grande dépression. Terre-Neuve est frappée de plein fouet par la crise économique mondiale. Des milliers de Terre-Neuviens perdent leur emploi. Le chômage explose et conduit à une pauvreté généralisée. Les Terre-Neuviens peinent à subvenir à leurs besoins de base. De nombreuses familles vivent dans des logements insalubres et surpeuplés. Les programmes publics sont débordés et la situation financière du gouvernement devient de plus en plus précaire.
Confronté à des difficultés financières structurelles, le gouvernement de Terre-Neuve fait savoir en 1932 qu’il y aura un défaut de paiement partiel sur la dette publique. La chute des prix de la morue, principale ressource de l’île, entraînera enfin la faillite du Dominion. Les gouvernements britanniques et canadiens craignent des effets négatifs et aident Terre-Neuve à couvrir les paiements de la dette, mais à la seule condition que Terre-Neuve accepte une commission d’enquête royale britannique.
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Terre-Neuve doit accepter de renoncer à son autonomie temporairement et de permettre à la Grande-Bretagne d’administrer le pays par le biais d’une commission désignée. C’est ainsi qu’en 1934, moins de 30 ans après être devenu autonome, Terre-Neuve perd son statut de Dominion et redevient une colonie britannique. Cette perte d’autonomie débute une période de 16 ans pendant laquelle Terre-Neuve est gouvernée par un gouverneur et des commissaires nommés par Londres. Ce recul significatif de sa souveraineté est ressenti comme un coup dur par la population.
Vient ensuite la Seconde Guerre mondiale, où Terre-Neuve joue un rôle stratégique pour les Alliés, des milliers de Terre-Neuviens s’étant enrôlés. Plusieurs bases militaires navales et aériennes, canadiennes et américaines, sont construites. La région devient un important centre stratégique pour les forces alliées. L’essor de l’industrie minière vient aussi stimuler l’économie locale.
Mais pourquoi Terre-Neuve ne voit pas d’intérêt à se joindre à la Confédération canadienne? La professeure Chouinard.
« C’est drôle parce que quand on prend nos cours d’histoire du Canada à Terre-Neuve et Labrador, la majorité de l’histoire du Canada, en fait, c’est l’histoire britannique parce que la province s’est seulement jointe à la Confédération en 1949, mais les tergiversations des dirigeants politiques de la colonie vis-à-vis de la Confédération, évidemment, datent de bien avant 1949.
Au début des années 1860, il avait cette méfiance-là par rapport aux élites canadiennes, notamment les Johnny MacDonald et Georges-Étienne Cartier. Comme je vous le disais, il y avait aussi dans le mouvement anti-confédération à Terre-Neuve, un certain mouvement anti-français qui était aussi présent, donc l’idée de se joindre au Canada uni, qui avait des circonstances particulières sur le territoire de la province de Québec, on voyait ça d’un mauvais œil dans le camp des anti-confédérations.
Chez une certaine partie de l’élite protestante aussi, il y avait
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Comme c’était le cas un peu partout au Canada, ce pas seulement à Terre-Neuve, il y avait aussi un mouvement de méfiance vis-à-vis du catholicisme. Et donc, de voir au Canada-Uni une aussi grande présence de catholiques, ça aussi, ça suscitait la méfiance. »
En fait, ces liens historiquement forts avec le Royaume-Uni influencent sa relation avec les autres colonies et contribuent à façonner son identité en tant que région distincte de l’Empire britannique. Aussi, la colonie de Terre-Neuve est située loin du reste des colonies britanniques en Amérique du Nord. Son économie est fortement axée sur la pêche, contrairement au reste du pays, et ces liens commerciaux sont plus étroits avec le Royaume-Uni et d’autres pays européens qu’avec le reste de l’Amérique. Les citoyens de Terre-Neuve sont fiers, mais aussi méfiants du Canada et de la tentation de la Confédération.
« Ce discours-là de méfiance vis-à-vis des intérêts financiers, il était aussi très présent à Terre-Neuve. Il était présent ailleurs. Si on retourne dans les débats, les protagonistes qui souhaitaient voir une bonne partie du pouvoir de cette confédération-là entre les mains des provinces, c’était entre autres parce qu’on avait peur que toutes les décisions soient prises à Ottawa sans considération pour ce qui se passait dans les régions. Ça a des échos encore aujourd’hui, que je vous dis, mais c’était des préoccupations très, très réelles, qui allait au-delà de cette identité forte terre-neuvienne, qui avait un attachement très profond à la couronne britannique et qui se voyait d’un point de vue identitaire plus proche de sa majesté en demeurant un Dominion autonome qu’en se joignant à ce nouveau pays. Ce qui était une expérimentation politique à cette époque-là, je pense qu’il faut s’en rappeler. On tentait de joindre à la fois des éléments du système de Westminster avec le système fédéral.
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dont on tentait de corriger certains des détails. Donc, tout ça, disons, participait au discours ambiant qui a fait en sorte qu’au final, l’élite politique de la province a décidé de se retirer du projet confédératif dans la seconde moitié des années 1800. »
Bien que Terre-Neuve ne souhaite pas rejoindre le Canada, un fort mouvement croissant en faveur de l’autonomie gouvernementale habite les Terre-Neuviens. Ils cherchent à avoir plus de contrôle sur leurs propres affaires gouvernementales. Les années qui ont suivi ont permis à la colonie de Terre-Neuve de retrouver le plein emploi. L’industrie minière connaît un essor, en particulier l’exploitation du minéraire de fer, la production ayant augmenté pour répondre à la demande militaire.
La pêche, qui a toujours été une activité essentielle pour l’économie locale, recommence à jouer un rôle central. Le conflit armé aura créé un véritable boom économique, ce qui atténue la dépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne et redonne l’espoir à la population. La professeure de sciences politiques, Stéphanie Chouinard.
« Suite à la débâcle économique des années 1930, le Dominion a fait faillite. C’est là où, effectivement, l’idée d’entrer en confédération avec des termes financiers qui, pour certains, semblaient alléchants, devenait une option un peu plus importante. Entre-temps, par contre, avec la Deuxième Guerre mondiale, la province a réussi à se renflouer, à point tel qu’elle avait fini de rembourser ses dettes en 1949, au moment où elle est entrée en confédération. »
La question du statut politique de Terre-Neuve refait surface, mais le Canada n’est plus le même. En 1870, le Manitoba devient la cinquième province à rejoindre la Confédération. La Colombie-Britannique l’année suivante et en 1873, l’île du Prince-Édouard. Le 1er septembre 1905, c’était au tour de la Saskatchewan et de l’Alberta. L’après-guerre amène une économie plus forte et stable. Un vent de changement plein dans l’air.
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1948 deux référendums ont lieu cette même année. Lors de celui du 3 juin, trois options sont proposées aux citoyens. L’indépendance de Terre-Neuve, l’entrée dans le Canada ou le statu quo. Pour les Terre-Neuviens, le statu quo n’est plus une option. C’est l’option d’un gouvernement autonome responsable qui domine avec 44,6 % des voix, suivi de celle de la Confédération avec 41,1 %.
Le 22 juillet 1948, l’appui supérieur aux deux premières options entraîne une autre consultation populaire. Plusieurs Terre-Neuviens sont encore marqués par la grande dépression qu’ils associent à la pauvreté et au scandale politique. Ils se montrent réticents à l’idée du rétablissement du gouvernement responsable. L’un des partisans les plus vocaux du camp pro-confédération est Joey Smallwood. Il participe activement à convaincre ses compatriotes et passe le message que de se joindre au Canada, c’est la chose à faire. Par sa maîtrise de la propagande populiste, il se hisse au rang de politiciens de premier plan.
Smallwood croyait véritablement que l’union avec le Canada apporterait la prospérité à Terre-Neuve et améliorerait la qualité de vie des Terre-Neuviens en leur donnant accès aux normes nord-américaines en matière de protection sociale et de services publics. Smallwood a dominé les débats malgré l’opposition d’influents marchands de St. John’s qui l’accusait de trahir l’indépendance de Terre-Neuve. Il a d’ailleurs délivré un discours mémorable et dit aux Terre-Neuviens l’amère vérité : Nous ne sommes pas une nation. Nous sommes une municipalité de taille moyenne […] laissée loin derrière dans la marche du temps. Fin de la citation. Stéphanie Chouinard.
« Mais dans la décennie où ces débats-là ont pris de l’ampleur, la question financière était au cœur, en fait, des arguments du camp pro-Confédération, c’est-à-dire que les termes de l’entrée en Confédération étaient vus comme plus aptes à stabiliser l’économie de la province. »
Lors de ce deuxième référendum, près de 150 000 votes sont comptabilisés, représentant un taux de participation de 85 %. L’entrée dans le Canada l’emporte avec 52,3 % des votes. Dans la revue mensuelle L’Action nationale de mars 1949, sous la direction d’André Laurendeau, M. Pierre Vigeant s’exprime ainsi sur l’annexion de Terre-Neuve:
(…) Du point de vue de l’intérêt général du pays, l’annexion de cette colonie anglaise apparaît à plusieurs désirables, car elle assurera au Canada des frontières naturelles un accroissement de territoire et de population, et la possession de richesses naturelles alléchantes même s’ils sont encore mal connus. Cette acquisition sera cependant coûteuse puisque la Grande-Bretagne avait hypothéqué l’île de diverses façons et que l’économie actuelle de Terre-Neuve est inférieure à celle de toutes les autres provinces canadiennes. Du point de vue des Canadiens français et particulièrement du Québec, l’entrée de Terre-Neuve est beaucoup moins réjouissante puisqu’elle modifie à notre détriment l’équilibre ethnique, qu’elle ajoute une neuvième province anglaise en face de la seule province française de Québec et qu’elle consacre définitivement la perte du Labrador.
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Pour les Terre-Neuviens, l’intégration en tant que province dans une nation plus vaste et économiquement plus stable est perçue comme une meilleure opportunité. Le Canada représente une certaine protection. Publiquement, la Grande-Bretagne se déclare neutre face à l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération canadienne, mais en coulisses, elle encourage cette union.
La Terre-Neuvienne-et-Labradorienne, Stéphanie Chouinard, professeure de sciences politiques. « La Grande-Bretagne elle-même envoyait des signaux à la colonie qu’elle souhaitait que Terre-Neuve entre en Confédération. On ne souhaitait plus avoir cette espèce d’appendice au milieu de l’océan Atlantique. On voulait voir Terre-Neuve se joindre au reste du Canada. On voyait ça comme la chose raisonnable à faire. »
Le Newfoundland Act, la loi sur Terre-Neuve, voté le 23 mars 1949 au Parlement britannique, à mise en vigueur les conditions de l’Union de Terre-Neuve avec le Canada. Elle prévoyait la dissolution du Conseil législatif. Le paragraphe introductif de cette loi se lit tout simplement comme suit: An Act to confirm and give effect to Terms of Union agreed between Canada and Newfoundland.
Rivercast Media s.a. (23:19.296)
Le 31 mars 1949, Terre-Neuve fait son entrée au Canada et devient officiellement la dixième province du pays. L’entrée de Terre-Neuve-et-Labrador dans la Confédération apporte des avantages économiques et sociaux à la province. Le Canada s’engage à gérer la dette de la province, à fournir des subventions fédérales et à investir dans les infrastructures. L’Union permet aux Terre-Neuviens d’avoir accès aux allocations familiales, aux pensions de retraite et à l’assurance chômage, améliorant leur niveau de vie. L’accès à ces programmes sociaux contribue à atténuer les effets de la pauvreté. L’adhésion de Terre-Neuve-et-Labrador élargit le territoire canadien et contribue à sa diversité culturelle et économique. La province étant riche en ressources naturelles, notamment minérales, forestières et halieutiques.
Le 27 mai 1949, à peine deux mois après avoir rejoint le Canada, les Terre-Neuviens se pressent aux urnes. Une première élection après 15 ans de silence démocratique. Sans surprise, Joey Smallwood devient le premier ministre de Terre-Neuve. Personnage controversé, il s’appelait lui-même « le dernier Père de la Confédération ». De tous les premiers ministres canadiens et provinciaux depuis le début de la Confédération, Smallwood est celui qui détient le record de longévité pour avoir occupé ce poste pendant 23 ans. Le 6 juin 1964, il fut initié à la franc-maçonnerie, dont il devient un membre très actif. Socialiste autoproclamé qui affiche un intérêt marqué pour Cuba et Fidel Castro, Smallwood laisse un héritage controversé. On le louange pour ses réalisations dans l’amélioration des routes, des écoles et des services sociaux à Terre-Neuve-et-Labrador, mais on lui reproche également ses efforts infructueux pour favoriser le développement industriel de la province, ainsi que son règne de plus en plus autocratique au cours de son long mandat. Joey Smallwood est mort le 17 décembre 1991 à St. John’s Terre-Neuve, quelques jours avant son 91e anniversaire.
À travers les défis et les opportunités qu’elle a apportés, l’adhésion à la Confédération a influencé la trajectoire économique, sociale et politique de la province. L’héritage de cette décision continue de résonner, rappelant la complexité et la richesse des relations entre les diverses régions du Canada.
« Ça demeure une province qui a une prospérité incertaine, qui dépend beaucoup de ses ressources premières, la pêche, le pétrole, les mines au Labrador, l’hydroélectricité évidemment, avec notamment la rivière Churchill, mais beaucoup de développement plus récent, Muskrat Falls, etc., qui là non plus, jusqu’à maintenant, n’est pas un succès économique pour la province, qui fait en sorte qu’on fait face à une population qui est résiliente, qui est malheureusement peut-être habituée à la misère et à se relever les manches. Et ça, je pense que ça fait partie de l’identité et de l’éthos terre-neuvien et labradorien aujourd’hui. »
Terre-Neuve-et-Labrador est la province la plus à l’est du Canada, composée de deux parties distinctes. L’île de Terre-Neuve est la région continentale du Labrador. La province représente une superficie totale de 405 212 kilomètres, ce qui en fait la septième province canadienne en termes de taille. La côte ouest est dominée par les monts Long Range. La côte nord-est, face à l’océan Atlantique, est marquée par de nombreuses baies, îles et promontoires.
La Côte-Sud présente les caractéristiques d’un rivage submergé. L’intérieur de l’île est vallonné et accidenté avec une prédominance de marécages et de végétation de bruyère. Terre-Neuve-et-Labrador est parsemé de milliers de lacs et d’étangs, résultat de la glaciation. Le plus grand lac est le réservoir Smallwood, créé par l’inondation de centaines de lacs dans l’intérieur du Labrador pour le projet hydroélectrique des chutes Churchill. Ce réservoir est d’une taille impressionnante, un élément important du paysage et de l’économie de la province.
On compte environ 7 000 petites îles sur le territoire de Terre-Neuve-et-Labrador, l’île de Terre-Neuve étant la plus grande et la plus peuplée. L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, un territoire français d’outre-mer, est situé au sud de l’île de Terre-Neuve. La population de Terre-Neuve-et-Labrador était de 510 550 en 2021, son plus bas niveau depuis 2006. La province abrite plusieurs communautés autochtones, dont les Innus, les Inuits et les Inuit-Métis.
Le drapeau de Terre-Neuve-et-Labrador, adopté en 1980, est riche en symbolisme. Très géométrique, il donne l’impression de pointer vers l’avenir. Le bleu représente l’océan Atlantique. Le blanc symbolise la neige et la glace. Le rouge rappelle les efforts des Terre-Neuviens et le jaune doré évoque le soleil. Les triangles bleus représentent l’espoir, le rouge le courage et le blanc la confiance. Le triangle doré représente l’or qui, selon certains, représente la richesse future de la province. La sarracénie pourpre est la fleur officielle de Terre-Neuve-et-Labrador.
Quant à l’oiseau officiel, c’est le macareux moine, un oiseau de mer distinctif, symbole bien connu de la province. Plus de 95 % de tous les macareux moine d’Amérique du Nord se reproduisent sur les côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. La plus grande colonie se trouve dans la réserve écologique de Witless Bay, au sud de St. John’s.
La capitale et la plus grande ville de la province est Saint-Jean-de-Terre-Neuve, St. John’s. L’origine du nom est incertaine et sujette à débat. Une théorie populaire attribue la dénomination à John Cabot, qui aurait visité le port le jour de la Saint-Jean-Baptiste un 24 juin. Par ailleurs, avancé par l’historien G.R.F. Prowse, sa théorie suggère que Cabot aurait nommé son point d’arrivée, l’île de St. John’s, en l’honneur de la fête religieuse, et pas forcément parce que Cabot serait arrivé ce jour.
Cependant, il est plus probable que l’explorateur portugais Gaspar Corte-Real ait nommé le lieu lors de sa visite en 1500. La première mention du nom apparaît d’ailleurs sur une carte portugaise de 1519 sous le nom de « Rio de San Johem ». Il est également possible que des marins anglais, originaires de la paroisse de St. John’s en Angleterre, ont baptisé le port en son honneur. Qu’à cela ne tienne, Saint-Jean-de-Terre-Neuve est une ville vibrante et dynamique qui, selon les données du recensement de 2021, compte plus de 110 000 habitants, représentant un peu plus du cinquième de la population totale de la province. St. John’s est sans contredit le centre économique de Terre-Neuve-et-Labrador, abritant une variété d’industries et d’entreprises.
Sur le plan politique fédéral, Terre-Neuve-et-Labrador est représenté par six sénateurs et sept députés à la Chambre des communes.
Rivercast Media s.a. (30:14.218)
Sa voix s’ajoute à celle des autres provinces, dans les débats et les décisions qui touchent le pays. L’histoire de Terre-Neuve-et-Labrador est un hymne à la résilience, à l’adaptation et à la détermination. Son adhésion à la Confédération, le 31 mars 1949, fut un moment historique et déterminant. Il a permis à la province de se développer tout en contribuant à la richesse et à la diversité du Canada.
Alors que nous commémorons le 75e anniversaire de l’entrée de Terre-Neuve-et-Labrador dans la Confédération canadienne, nous rendons hommage aux innombrables personnes dont le courage et le dévouement ont fait du Canada la nation d’aujourd’hui. Leurs histoires résonnent non seulement dans les pages des manuels scolaires, mais aussi dans les rues que nous arpentons et les monuments qui ornent nos horizons.
La prochaine fois que vous vous proménerez dans votre ville ou votre village, prenez un moment pour vous arrêter et réfléchir. Chaque nom de rue et chaque bâtiment murmure des récits de notre passé. Ce sont des monuments vivants dédiés aux explorateurs, aux pionniers et aux visionnaires qui ont bâti ce pays. De pierre en brique, rêve à la réalité.
Ce voyage à travers la riche mosaïque d’événements, de personnes et de lieux du Canada est rendu possible grâce au généreux soutien du gouvernement du Canada. Partagez ce balado avec votre famille et vos amis et, ensemble, découvrons les trésors cachés de notre patrimoine commun. N’oubliez pas d’explorer les autres épisodes captivants de 49 degrés nord, où nous plongeons au cœur des histoires fascinantes qui ont fait du Canada un pays remarquable.